Depuis des décennies, la Saint-Cochon est un jour de fête pour toute la famille et même parfois pour tout un village. Pour tous, sauf pour le cochon bien entendu car il devient rôtis, jambons, pâtés et autres saucisses ! Explication de cette tradition qui perdure.
Dans le Haut-Doubs, aussi loin qu'on puisse se souvenir, on tue le cochon tous les ans. Geneviève la grand-mère raconte: "dans le temps, on tuait le cochon de la ferme. Toute l'année, on lui donnait à manger, on s'occupait de lui et quand c'était le moment, on le tuait. On le faisait dehors, tous les voisins passaient nous rendre visite, boire un coup pour la Saint-Cochon, c'était un jour de fête". De fête oui, mais de travail intensif également car le cochon doit connaître bien des transformations avant de terminer dans notre assiette !
D'abord, il faut le tuer. On l'a fait jusqu'à la fin des années 1990, mais la législation est devenue plus stricte. On ne peut plus le tuer n'importe comment, il faut respecter des règles d'hygiène alors il a fallu s'y résoudre. Dorénavant, on achète le cochon déjà tué. Du coup, le boudin traditionnel n'est plus ! C'est un peu dommage car le jour de la Saint-Cochon, la tradition voulait qu'on mange le boudin qui cuisait doucement depuis le matin. Toute la maison sentait fort les épices qu'on ajoutait pour que ce boudin ait un goût inimitable. Bref, "y'a plus de boudin" regrettent certains! "Par contre, on faisait une soupe pour manger le midi avec les restes de poireaux et de pommes de terre. Lorsqu'on a arrêté de faire le boudin, je me suis dit que je pouvais changer les légumes de la soupe. J'ai eu des plaintes de toute la famille. La soupe de la Saint-Cochon est entrée dans la tradition", plaisante Solange, la maman.
Ne plus faire le boudin allège un peu la journée de travail car le cochon est maintenant livré coupé en deux, déjà vidé. Il y encore quelques années, il fallait passer le porc à la poix pour enlever les poils, vider les entrailles, vider et laver les intestins pour les transformer en "poches" à saucisses... Aujourd'hui, ça va plus vite. On livre le cochon coupé en deux, il ne reste plus qu'à le couper ! "Y'a plus qu'à, donc!"
Vendredi 9 janvier, nous voici donc, dans le Haut-Doubs et nous prenons place au milieu de ce qui perdure: une petite fête de famille. On s'y prépare depuis quelques jours, il faut réunir les épices, les ustensiles. Les enfants posent des jours de congés et les parents préparent la maison afin que tout soit prêt ! On vient la veille, pour se retrouver, manger ensemble et se coucher tôt. Car le réveil sonne avant l'aube !
Le jour-j, chacun trouve sa place, au frais (euphémisme pour ne pas dire froid), dans le sous-sol, autour de la table mise en place spécialement pour accueillir toute cette viande. Comme chaque année, Arnaud est à la découpe, Jean-Claude est pivot. Il dirige, contrôle ! Solange est l'assistante générale : elle est là quand il faut avec le bon outil, elle veille au bon déroulement ! Aline dégraisse la viande et prépare la chair à saucisse et le pâté. Philippe, alias saxo, met la main à la pâté comme il peut. Dernier arrivé dans la famille, il doit essuyer les rires et les blagues de sa belle famille ! Il est de bonne composition et coupe le choux pour la saucisse aux choux, enlève la graisse de la viande avant que sa Belle en fasse de la chair à saucisse... Il sait se rendre utile !
La petite entreprise familiale se met au travail. On pose le porc, à moitié coupé sur la table, on en retire le jambon arrière, le jambon avant et on coupe le reste en faisant attention à sauvegarder le filet mignon, on garde les petites côtes pour faire des "ribs" au barbecue l'été, on découpe autour des côtes pour faire du lard, les abats sont mis de côté, sans oublier le bacon, bien entendu... Chacun a ses morceaux préférés alors il faut s'adapter afin que chacun puisse avoir sa viande telle qu'il le souhaite.
Alors Arnaud et Jean-Claude sont attentifs car chaque membre de la famille a ses exigences : l'un mange beaucoup de saucisses et n'hésite pas à sacrifier certains bons morceaux pour avoir plus de saucisses, d'autres mangent plus de viande hachée... Il faut être vigilant !
Les pieds du cochon, la tête... tout doit être "freulé" avant de devenir de la gelée ! Freuler ? Passé sur une petite flamme afin d'enlever tous les poils. Jean-Claude passe un moment donc à épiler son cochon à l'aide d'une petite bougie. Eh oui, l'épilation doit être précise chez le cochon aussi. Ensuite tous les morceaux sont soigneusement lavés avant de finir en gelée !
Le cou, les bas morceaux sont dénervés pour être transformés : les plus gras vont devenir du pâté, les moins gras seront saucisses. Il faut donc préparer la viande, la couper en morceaux et la mouliner à l'aide de la machine qui est au bout de la table. Geneviève raconte : "quand j'étais petite, on n'avait pas la hacheuse. Il fallait couper toute la viande en minuscules morceaux. On y passait du temps ! Après, on a eu la machine, mais il n'y avait pas de moteur, il fallait tourner la manivelle". La viande est hachée puis épicée. Ne cherchez pas la recette, c'est un secret. Chaque famille a la sienne, héritée des aïeuls pour devenir la chair à saucisse et le pâté.
Une fois la viande prête, il faut mettre la préparation dans les boyaux (avant, les boyaux étaient soigneusement récupérés et lavés au préalable, maintenant, on achète les contenants) grâce à une machine. Là aussi, le processus a été simplifié grâce à un petit moteur qu'on actionne au rythme du bourrage des saucisses. Dans le passé, une personne tournait la manivelle en suivant les instructions de la personne qui bourrait, "il fallait être très attentif car si on allait trop vite, ou trop longtemps, alors le boyaux cassait et on se faisait engueuler", raconte Arnaud en se remémorant des souvenirs de jeunesse !
Aujourd'hui, il faut toujours faire attention, mais le bourreur est maître de sa cadence. Il doit placer une extrémité du boyaux dans l'entonnoir, fermer une extrémité avec la traditionnelle cheville de bois, bourrer la viande hachée dans le boyau, couper l'autre extrémité en fonction de la taille de la saucisse et recommencer. A côté, Jean-Claude récupère la saucisse pour la faire belle, comme on dit la Haut : il la pique pour chasser l'air et la ferme.
Pendues côte à côte, elles vont prendre place dans le tuyé pour y être fumées pendant plusieurs semaines. Ainsi, elles vont devenir des belles saucisses de Morteau. Grâce à cette fumaison, elles vont perdre quasiment 1/3 d'eau et prendre un goût inégalable.
Dans le tuyé, elles vont être rejointes par les jambons une fois leur salaison terminée. Cette étape délicate prend plusieurs jours, mais c'est indispensable pour qu'ils soient fumés à cœur et salés à la perfection ! D'autres morceaux seront fumés également. C'est le cas du bacon qui va prendre une saveur incroyable.
Bien entendu, cette journée ne serait pas la Saint-Cochon sans ses poses et son repas partagés en famille ! Bien sur, on fait la trêve de la découpe autour d'un verre de blanc, on fait le compte des coupures et on fait le bilan du travail de chacun. On se vanne, on se taquine ! On trinque et on bosse aussi !
Et pour finir, on se retrouve tous autour d'une table bien remplie avec un jambon de l'année d'avant et on se dit que tout ce travail en vaut bien la peine, tant la viande est bonne !