Daphné vit à Lisbonne depuis plus de 15 ans maintenant, elle y réalise son rêve : elle est sculptrice sur bois et du haut de sa petite trentaine d'année, elle travaille aujourd'hui avec les derniers maîtres ébénistes Portugais. Rencontre hors du commun dans un atelier lisboète.
Elle les appelle "Mestre", ils l'appellent Daphné, tout simplement, mais tous se vouvoient alors qu'ils travaillent ensemble quotidiennement depuis des années. Ils se sont rencontrés à la Fondation Ricardo Espirito Santo Silva, une institution dans les arts décoratifs au Portugal. Les Maîtres y enseignaient, elle y a étudié. C'est pour ça qu'elle est venue s'installer à Lisbonne : pour l'amour du bois.
"Au début, raconte elle, ce n'était pas facile. Je ne parlais presque pas portugais malgré avoir séjourné souvent dans ma famille paternelle dans le nord du Portugal, je n'avais rien, on m'appelait "française" sans même un article définit. J'ai du travailler dur pour m'intégrer." Alors la jeune femme qui n'était alors qu'une adolescente de 17 ans s'est mise à travailler avec le soutien permanent de sa famille. Elle a enchaîné les cours, les sculptures, les missions. Pas toujours simple quand on est loin de sa Franche-Comté natale, de son petit village et de sa famille, mais Daphné s'accroche. Progressivement elle devient bilingue, se fait de vrais amis Portugais et les résultats commencent à venir.
Elle fait son trou comme on dit. Elle va même obtenir d'excellentes notes, avoir son diplôme et première marche vers la réussite, elle est embauchée par la fondation. "La plupart des maîtres sont là parce qu'ils souhaitent tout transmettre. Ils nous offre leur savoir, leur technique, leur amour..." explique la jeune femme. "On est comme des buvards. Ils donnent, on récupère". Mais tous les élèves n'ont pas cette recherche de l'excellence à en croire les maîtres. "J'ai transmis à la Fondation pendant des décennies et pas un jeune ne vit aujourd'hui de son art. Il y a une dévalorisation permanente du travail manuel. Actuellement, on veut former des gens en quelques mois d'apprentissage. On veut des meubles Ikea. Moi, j'ai consacré ma vie à apprendre mon métier et j'ai l'impression que les jeunes générations ne sont pas prêts à faire tous ces sacrifices. Ils veulent tout savoir avant d'avoir commencé à travailler. Tous... Sauf Daphné ", explique solennellement le Maître Anico, avec pudeur. Ils se sont rencontrés à la Fondation, mais l'histoire ne s'arrête bien entendu pas quand la jeune femme décide de quitter son emploi à la Fondation. Elle créé son atelier à Alfama, dans le vieux quartier de Lisbonne mais elle a besoin d'aide. "Même si je savais faire plein de choses, j'avais besoin de conseil, de retour sur mon travail", raconte-t-elle. Un jour pas comme les autres, elle vient à l'atelier du Maître, dans une petite rue de la capitale portugaise. Une allée de garage, une ou deux portes ouvertes et voilà une petite ruche où les meubles se refont une beauté, où ils sont sublimés ! Elle revient souvent voir le Maître, tant et si bien qu'il finit par lui proposer de louer le garage à côté de lui qui vient de se libérer : "Je ne pouvais pas laisser passer cette chance de travailler à côté d'un expert pareil. Depuis je viens tous les jours. Il est prêt à appeler ces amis avec qui il travaillaient lorsque j'ai besoin. C'est fou d'avoir cette chance, de bénéficier d'autant de connaissances ".
Alors de temps en temps, entre deux session de travail et de transmission, au milieu de la cour, entre les deux garages, on sort le barbecue, on pose une table, des chaises et l'ambiance devient plus amicale. Chacun apporte un peu : l'un du vin, l'autre de la viande... et tous deux mesurent la chance qu'ils sont de se connaître. "J'aime transmettre quand la personne aime recevoir" dit le Maître. "Même si je ne suis pas riche et que je vais peut être encore manger de la viande enragée pendant quelques temps, je ne peux pas laisser passer cette chance et dire "non" à un tel leg", raconte Daphné en se remettant au travail !